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Fusion froide : récit d'un dérapage

Fusion froide : récit d'un dérapage

Mercredi 22 mars 1989. L’Université de l’Utah, un État de l’ouest des États-Unis, envoie un communiqué aux journalistes annonçant une conférence de presse pour le lendemain. Deux chimistes de chez elle, ont découvert « une source d’énergie illimitée et non polluante » : ils ont réussi une « fusion à froid » ou fusion froide (cold fusion) dans leur laboratoire.

Ça va rapidement devenir un des plus gros dérapages de l’histoire de la communication scientifique dans les universités. Et trois décennies plus tard, la réputation de l’Université de l’Utah en est encore entachée.

C’est quoi, la fusion?

La fusion nucléaire, c’est l’énergie qui fait briller notre Soleil en permanence, depuis des milliards d’années. Les atomes d’hydrogène fusionnent entre eux pour former de l’hélium, libérant ce faisant une immense quantité d’énergie. Cela implique des températures qui dépassent le milliard de degrés. La « fusion froide », ce serait donc l’énergie du soleil —mais dans un bocal, à la température de la pièce.

À ne pas confondre avec la fission nucléaire qui, elle, est maîtrisée depuis trois quarts de siècle : c’est ce qui fait fonctionner les centrales nucléaires. La fusion, elle, n’a pu être réalisée que dans des conditions très contrôlées et seulement pour des fractions de seconde —comme avec ces centrales expérimentales sous le nom de Tokamak, depuis les années 1960. Et ce, dans des conditions de chaleur et de pression gigantesques.

Des armées de physiciens et d’ingénieurs travaillent depuis des décennies sur la fusion nucléaire, parce que si on y parvenait, on aurait sous la main une source d’énergie illimitée —comme le Soleil— et sans déchets —au contraire des réacteurs nucléaires actuels.

Quel a été le ratage de 1989?

Le matin du 23 mars 1989, avant la conférence de presse, deux journaux ont déjà cette nouvelle à la Une : le Financial Times de Londres et le Wall Street Journal de New York, qui avaient obtenu l’exclusivité. Les articles ne donnent pas de détails sur l’expérience menée par les deux chimistes de l’Université de l’Utah, Stanley Pons et Martin Fleishman, sinon que cette fusion nucléaire se serait réalisée à la température de la pièce, avec un équipement très simple. Pons et Fleishman affirment avoir mesuré 100% plus d’énergie que ce qu’ils ont utilisé pour l’expérience.

Et les articles de ces deux journaux de la finance ouvrent sur les perspectives économiques : une énergie presque gratuite, illimitée, et qui ne produirait pas de déchets, ce serait l’une des plus grandes découvertes scientifiques du siècle.

Le gros problème, du point de vue des scientifiques et des journalistes qui assistent à la conférence de presse, est que les résultats de cette expérience ne sont encore parus nulle part.

En temps normal, on pourrait balayer du revers de la main une telle annonce sachant que d’obscurs inconnus annoncent régulièrement avoir réécrit les lois de l’Univers dans leur garage. Par exemple, on ne compte plus les « inventeurs » qui, depuis le 19e siècle, ont cru avoir inventé une machine à mouvement perpétuel.

Sauf qu’ici, on n’a pas affaire à deux nébuleux inventeurs : Stanley Pons est professeur de chimie et a plusieurs publications derrière lui; Martin Fleishman est professeur invité à l’Université de l’Utah, détaché de l’Université de Southampton, en Angleterre. Et le communiqué de presse a été envoyé par le service des communications de l’Université de l’Utah, une institution sérieuse.

Le 24 mars, la nouvelle fait donc la Une du New York Times et de plusieurs journaux. La plupart des reportages sont prudents et citent des scientifiques sceptiques. D’autres, comme le Wall Street Journal y reviendront régulièrement dans les jours suivants, chaque fois avec davantage d’optimisme que de prudence. Dès le 25 mars, l’Utah dégage 5 millions$ de son budget consacré au développement économique en vue de créer une « Fusion Valley ».

Qu’auraient dû faire les journalistes spécialisés en science : parler de cette nouvelle ou non?

En temps normal, une telle nouvelle serait restée confidentielle, et même les journalistes scientifiques auraient attendu une confirmation avant d’en faire les manchettes. Mais comme toute la presse nationale y faisait écho, l’ignorer était impossible. Les journalistes scientifiques ont donné du poids dans leurs articles aux scientifiques qui, exprimant des doutes, ont donné du contexte pour expliquer pourquoi d’innombrables efforts pour réaliser la fusion depuis les années 1940 ont échoué. Ils ont rappelé l’importance d’une publication en science, et l’anomalie que représente une « publication » faite exclusivement par communiqué de presse.

Dans ces articles journalistiques, ici et là, surnagent des détails techno-scientifiques tirés de la conférence de presse ou des entrevues accordées par Pons ou Fleishman. Des mots-clefs : électrolyse, eau lourde, libération d’énergie. Un langage avec lequel chimistes et physiciens sont familiers. Ils savent qu’une libération d’énergie —des neutrons— peu importe qu’elle se produise à la température de la pièce ou à des milliards de degrés, laisse des traces sur le métal des appareils. Quel type de traces? En quelle quantité? Ces détails sont primordiaux pour valider ce qui s’est passé.

Le 31 mars, les deux « découvreurs » font une présentation succincte de leur expérience devant un auditoire scientifique au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), en Suisse. Cette quasi-absence de « trace » mesurée laisse sceptique l’auditoire. Fleishman —un chimiste— suggère qu’il faut peut-être réviser la physique. Le 12 avril, ils sont accueillis par un auditoire beaucoup plus sympathique à leur cause, au congrès de la Société américaine des chimistes. Le président les présente en disant que « les chimistes sont venus à la rescousse » des physiciens dans leur quête d’une fusion nucléaire « trop coûteuse et trop ambitieuse ».

Mais on n’a toujours pas de détails et, à travers le monde, les laboratoires qui tentent de reproduire l’expérience commencent à émettre tout haut des doutes. Pons et Fleishman admettent qu’ils ont pu mal mesurer l’émission de neutrons —celle qui laisse sceptique les physiciens parce qu’elle leur semble beaucoup trop faible pour être plausible. Ils promettent de répéter l’expérience en utilisant un appareillage plus sensible. Plusieurs laboratoires offrent de mener la mesure, à leurs frais : tout ce dont ils ont besoin c’est d’une petite pièce de métal des instruments originaux. Pons et Fleishman refusent. Début-mai, au congrès de la Société américaine de physique, plusieurs résultats de ces expérience menées ailleurs dans le monde sont présentés : ils sont tous négatifs. On évoque une erreur de manipulation, et un « dégagement de chaleur » qui n’aurait jamais vraiment eu lieu.

Pons et Fleishman sont attendus avec impatience au congrès international de physique, à Santa Fe à la fin-mai. Même la Maison-Blanche y a chargé un Prix Nobel de s’assurer que tous les points de vue y soient représentés. Les deux chercheurs annulent à quelques jours d’avis.

Pons et Fleishman ont-ils cru en toute bonne foi avoir réussi une fusion à froid? C’est possible. Ont-ils, à un moment donné, cessé d’y croire? Si c’est le cas, ils ne l’ont jamais dit.

En octobre 1989, une enquête du ministère de l’Énergie conclut à l’absence de preuves. L’Université de l’Utah abandonne les recherches en 1991, et ne renouvelle pas le brevet en 1998.

À travers le monde, nul n’a jamais pu corroborer les résultats. C’est jusqu’au mot « fusion froide » qui a cessé d’être employé par ceux qui continuent malgré tout de suivre cette piste.

Les leçons à retenir

Des erreurs en science, ça arrive. C’est à ça que sert la publication d’études scientifiques : afin que d’autres scientifiques puissent tenter de reproduire l’expérience et repérer les erreurs, s’il y en a.

Ne jamais, jamais, jamais, se contenter d’un communiqué de presse pour rapporter une « découverte » scientifique.

Utiliser son esprit critique devant une découverte « révolutionnaire », ça vaut pour tous les journalistes… mais ça vaut aussi pour les relationnistes d’une université, afin d’éviter de se mettre les pieds dans les plats!

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