
Un des atouts dont profite la désinformation : un trop grand nombre de gens ont une trop grande confiance en leur capacité —ou celle de Google— à vérifier l’information. Cela se reflète dans leur incapacité de faire confiance à ceux qui vérifient vraiment l’information.
Certaines de ces personnes partent pourtant d’un sain scepticisme, ont constaté des chercheurs en communications et en sciences politiques qui ont publié deux recherches là-dessus en 2023. Pour la première de ces recherches, ils avaient mené, au début de la pandémie, 60 entrevues en profondeur avec des Américains qui suivaient les nouvelles par l’intermédiaire des médias traditionnels et qui se vantaient de « faire leurs propres recherches » pour corroborer ce qu’ils avaient lu ou entendu. Par exemple, l’un d’eux faisait une recherche Google « en direct », c’est-à-dire en même temps qu’il écoutait le bulletin de nouvelles.
Un bon réflexe, avaient noté les chercheurs à l’époque, mais ces recherches individuelles aboutissaient-elles à de bons résultats? C’est la question à laquelle des collègues à eux ont tenté de répondre dans la deuxième étude, parue en décembre 2023 dans la revue Nature. Leur conclusion : ces efforts pour vérifier les faits rendent ces personnes plus susceptibles de croire à des faussetés.
Une des raisons tient à Google : il est depuis longtemps établi que les résultats qu’il donne ne sont pas nécessairement fiables. Un site peut se retrouver en tête de liste juste parce qu’il a fait un usage trompeur des mots-clefs. Face à un sujet controversé, voire à une théorie du complot qui n’a pas été analysée par des sources fiables, Google peut du coup conduire vers une source qui n’a aucune crédibilité, juste parce qu’elle est la seule à en parler. Qui plus est, la croissance des contenus générés par l’intelligence artificielle pourrait empirer le problème.
La solution serait, en théorie, d’enseigner à ces personnes à repérer des sources de meilleure qualité. Mais le problème semble plutôt résider dans leur façon de faire la recherche : copier quelques mots-clefs d’une controverse ou d’une théorie du complot ne pourra pas conduire à des sources de bonne qualité, si ce groupe de mots-clefs n'est employé que par les croyants en cette fausse info. Autrement dit, ces personnes tombent sans le savoir dans ce que les chercheurs appellent un « vide informationnel » (data void), parce que leur méthode de recherche est inefficace.
Et certains désinformateurs comptent là-dessus : dans un ouvrage publié en 2022 et intitulé The Propagandists’s Playbook, la professeure en sciences de l’information Francesca Tripodi, de l’Université de Caroline du Nord, notait que « les élites conservatrices comptent sur les défauts de cette approche qui consiste à « vérifier les faits » en mettant l’emphase sur des termes précis, sachant que la traque de ces termes va conduire les gens à obtenir des résultats de recherche qui les laisseront mal informés ».
Accessoirement, cette démarche va également conduire certaines de ces personnes à faire encore moins confiance aux informations journalistiques solides, puisque celles-ci entrent dès lors en contradiction avec leurs croyances.
Alors quoi faire?
Parmi les recommandations :
- Éviter de creuser un sujet par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Non seulement sont-ils conçus pour accentuer nos biais cognitifs —nous faire entendre ce qui confirme nos croyances— mais les algorithmes favorisent ce qui va nous faire réagir émotivement, et non ce qui est crédible ou fiable.
- Être attentif au choix des mots-clefs que l’on utilise dans une recherche : privilégier un langage neutre plutôt que des mots qui reflètent nos opinions
- Juger de la fiabilité des réponses en vérifiant de qui elles proviennent : départager les sources douteuses des sources dignes de confiance.
- Faire preuve d’humilité : on a rarement la compétence pour juger de la validité d’arguments contraires lorsque des sujets sont complexes, comme le climat ou les vaccins. Mais on peut au moins faire un premier tri comme expliqué à l’étape 3.
Tout cela ramène à des compétences que tout le monde peut développer grâce à ce qu’on appelle la littératie médiatique, ou « éducation aux médias et à l’information ». C’est la seule littératie pour laquelle des études ont pu démontrer qu’elle améliore la capacité à détecter les fausses nouvelles.
Vous pouvez en apprendre plus sur ces recommandations dans notre article Faire soi-même ses recherches, est-ce réaliste?
Pour aller plus loin :
- Notre vidéo Vraiment vrai : L’information à l’heure des réseaux sociaux
- La série d'infographies Comment vérifier l'info comme un pro
- Nos ateliers et formations
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Image : Kryzhov | DepositPhotos.com